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Dernière mise à jour le 13 aout 2016

 

 

 

PETITE HISTOIRE de la première ligne ferroviaire de BORDEAUX à TOULOUSE

 

 

Le présent article est extrait du livre :

Les liaisons ferroviaires entre Bordeaux et Toulouse

Sans titre 

 

 

 

Le canal latéral à la Garonne en compétition avec le chemin de fer

 

La première ligne de chemin de fer en France a été construite en 1827, entre Saint-Etienne et la Loire (Andrézieux). Les premières concessions étaient accordées à perpétuité, sans prêt ni subvention de l’Etat pour des services de marchandises à traction par chevaux. C’est seulement dix ans plus tard, en 1837, que les frères Pereire ouvrirent dans la banlieue parisienne une première ligne pour voyageurs, entre Paris et Saint-Germain. La concession leur fut accordée à leurs risques et périls.

 

Entre temps déjà, les idées avaient germé pour la construction de la liaison ferroviaire entre Bordeaux et Toulouse. Toutefois, la construction de la ligne de Bordeaux à Toulouse resta très intimement liée à celle du percement du canal latéral à la Garonne qu’elle concurrençait directement. Pour comprendre cette intimité des deux infrastructures, il faut remonter quelque peu dans le temps…

 

Pierre-Paul RIQUET obtint en 1666 l’autorisation de construction du  Canal du Midi reliant Sète à Toulouse. Le projet se plaçait  dans la perspective stratégique de réaliser un canal entre les deux mers répondant, d’une part au besoin de diffusion des marchandises des ports vers les terres, et d’autre part au rêve, présent dans les esprits depuis l’Antiquité, de relier directement la Méditerranée à la façade Atlantique sans passer par le détroit de Gibraltar. Le chantier du Canal du Midi se termine en 1681 après 14 ans de travaux. Il donne alors à Toulouse un rôle commercial important lié au transbordement des marchandises.  Il faudra attendre presque deux siècles pour que le projet de canal des deux mers soit réactivé sérieusement. C’est ainsi qu’en 1828 une première étude sérieuse est menée, et qu’en 1832 une première concession est donnée par l’Etat à la Compagnie Magendie-Sion détenue par M. Alexandre Doin pour la construction du Canal de Garonne devant relier Toulouse à Castets, commune de Gironde à partir de laquelle la Garonne était navigable dans des conditions satisfaisantes jusqu’à Bordeaux. Mais le projet n’aboutit pas comme nous allons le voir.

 

La même année, 1832, l’ingénieur Pierre-Dominique Martin avait proposé de relier les deux métropoles du Sud-Ouest, Bordeaux et Toulouse, par une combinaison de services ferroviaires et fluviaux : chemins de fer entre Bordeaux et Langon d’une part, Moissac et Toulouse, d’autre part ; bateau d’une force de 50 CV (chevaux) entre Langon et Moissac. Ce projet n’eut pas de suite. Messieurs Martin et Gimel avaient déjà obtenu la concession d’un chemin de fer à marchandises de Toulouse à Montauban et à la rivière du Tarn par ordonnance du 21 août 1831. Cette concession restera d’ailleurs sans effet.

 

Nouvelle tentative en faveur du chemin de fer, le 19 mai 1838. Le ministre des Travaux publics déposait sur le bureau de la chambre des députés un projet de chemin de fer de Bordeaux à Langon devant être concédé à Messieurs Baour et Compagnie, Walter et David Jonhston, Balguerie junior, Hippolyte Raba, David-Frédéric Lopez-Dias. La commission chargée d’examiner le projet de loi reconnut l’utilité publique de la concession « malgré la diversité des voies de communication existant alors entre les deux villes : route nationale 10 [1]  sur la rive gauche, route départementale sur la rive droite, fleuve exploité par deux compagnies de bateaux à vapeur et par de nombreux bateaux à voile. Les marées contraires, les crues, les inondations, les glaces, les brouillards d’hiver, retardent souvent, suspendent parfois la navigation. La circulation par terre est parfois arrêtée par les débordements du fleuve…  Ce chemin forme la tête de ligne qui doit rejoindre Bordeaux à Marseille : c’est un premier pas fait de l’Océan vers la Méditerranée.»

 

Tels sont les principaux arguments invoqués en faveur du projet par le rapporteur M. Billault. Le projet de tracé de la voie suit la rive gauche de la Garonne. Il n’a soulevé qu’une seule objection sérieuse, à propos de l’entrée dans Bordeaux.  Trois terminus ont été proposés : le pont de Brienne, le pont de Pierre et le quai de la Grave. Le premier a été repoussé par l’administration comme « trop éloigné du centre des affaires », le second comme « portant sans nécessité suffisante une grave atteinte à la disposition des magnifiques abords du grand pont de Bordeaux ». Le troisième situé à un point intermédiaire, a paru convenable à la Commission de la Chambre. D’ailleurs, la voie établie « avec des rails à fleur de terrain le long du quai ne constituera pas une gêne pour l’accès au fleuve, et le concessionnaire, par mesure de prudence, offre d’assurer au moyen de chevaux la traction entre le pont de Brienne et le terminus ».

 

Les difficultés soulevées par le Conseil municipal de Bordeaux à propos de ce terminus incitèrent toutefois M. Billault à demander l’ajournement de la discussion  « pour laisser au gouvernement et aux demandeurs en concession le temps d’aplanir ces difficultés… ». Et l’affaire n’eut pas de suite…

 

 

Dans ces années 1830, la bataille entre les partisans du canal et les partisans du chemin de fer était vive ; le commerce toulousain ne souhaitait pas la construction du canal latéral qui supprimait la rupture de charge, mais a contrario, voyait dans le chemin de fer un moyen de maintenir son activité de transbordement. Il soutenait donc ce symbole de modernité , alors que les milieux d’affaires bordelais souhaitaient la construction du canal pour améliorer la zone de desserte du port. Les départements pyrénéens n’étaient pas plus favorables à la réalisation d’un canal latéral à la Garonne, lui préférant un projet de réalisation d’un canal des Pyrénées. Par ailleurs, le contexte général de l’époque est favorable au chemin de fer qui connaît un progrès et un engouement considérables dans tous les pays industriels : la locomotive à vapeur est apparue en 1832, et les transports de voyageurs ont débuté en 1837 en France.

 

In fine, les partisans de l’abandon du canal deviennent de plus en plus nombreux. Nombre d’observateurs considéraient qu’une seule infrastructure de transport devait être construite, le trafic n’en justifiant pas deux. Ils se ralliaient  au chemin de fer, alors porteur d’une image de modernité.

 

Dans ce contexte le concessionnaire du canal latéral n’a pas honoré son contrat de 1832, et l’Etat après avoir prononcé la déchéance du concessionnaire prit la poursuite de la construction à sa charge (loi du 3 juillet 1838), en la confiant à un inspecteur divisionnaire des Ponts et Chaussées, Monsieur de Baudre. Les travaux commencent, mais se heurtent à des difficultés économiques considérables, notamment d’augmentation du coût de la main d’œuvre. En outre, les moyens budgétaires étant très restreints la construction progressait très lentement de sorte qu’il fallut attendre 1845 pour l’ouverture du prolongement du canal du Midi jusqu’à Moissac, y compris le canal de raccordement à Montauban. En 1848, la partie du canal de Toulouse à Agen était mise en service.

 

Entre temps, une loi de programmation est adoptée le 11 juin 1842, elle fixe les priorités du déploiement des chemins de fer sur le territoire français. Il s’agit de grandes artères rayonnant de Paris vers la Belgique, l’Angleterre, l’Allemagne, la Méditerranée, l’Espagne par Bordeaux et Bayonne, le centre de la France, et la liaison transversale du Rhône vers le Rhin, enfin dernier élément de la liste : la ligne de Bordeaux à Toulouse, Sète et Marseille. La loi prévoit que l’Etat restera propriétaire des infrastructures, à ce titre financera l’acquisition des terrains, les terrassements, ouvrages d’art et gares. Pour leur part, les compagnies concessionnaires seront responsables de la superstructure (voie, ballast, traverses), du matériel roulant et de l’exploitation. La loi prévoit la possibilité d’aides de l’Etat pour l’établissement du réseau, sur la base de concessions pouvant être de longue durée.

 

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Carte des priorités ferroviaires de la loi de 1842

 

Ce n’est que quatre ans plus tard, que la loi du 21 juin 1846 accorde, conformément à la loi programme de 1842, la concession d’un chemin de fer de Bordeaux à Sète à un groupe conduit par un banquier bordelais M. Ezpeleta et un homme d’affaires toulousain, proche des frères Pereire, M. Tarbé de Sablons.

 

Mais la Compagnie, incapable de rassembler les capitaux, ne put tenir ses engagements. Elle perdit son cautionnement et fut déclarée déchue par arrêté ministériel du 21 décembre 1847.

 

La surabondance d’infrastructure (canal et chemin de fer) fut invoquée comme élément explicatif de cet échec, mais les déchéances de concessionnaires  touchaient aussi d’autres projets comme celui du chemin de fer de Lyon à Avignon la même année. Les investissements hasardeux et les spéculations financières sur les chemins de fer, la railway mania, sont à l’origine de la grave crise des années 1847-48.  La crise commerciale et politique provoque un arrêt brusque du développement du chemin de fer et prépare le terrain de la révolution de 1848.

 

 

 

 

 

 

 

Naissance de la Compagnie du Midi et de la ligne de Bordeaux à Toulouse

 

Louis-Napoléon Bonaparte accède au pouvoir en décembre 1848 [2], et va insuffler une politique nouvelle de grands travaux et de partenariat public-privé (pour utiliser les termes contemporains) qui va conduire à la concentration des compagnies ferroviaires concessionnaires - de 27 en 1851, elles ne seront plus que 6 en 1859 - et à la réalisation progressive du plan des priorités ferroviaires décrit dans la loi de 1842. Les aides de l’Etat se développeront alors pour consolider la situation économique des compagnies de chemin de fer. Dans ce nouveau contexte, les compagnies ferroviaires sont réparties territorialement en étoile autour de Paris, elles disposent de lignes nourricières grâce auxquelles elles acceptent de porter le fardeau des autres lignes. Les durées de concession sont fixées à 99 ans alors qu’elles étaient généralement plus courtes ; la mesure était destinée à attirer les capitaux nécessaires pour les compagnies.

 

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Carte du réseau ferroviaire en 1850

 

Alors que la plupart des lignes maîtresses du réseau définies par la loi de 1842, étaient en exploitation ou en construction en 1852, le cas de la ligne de Bordeaux à Sète faisait toujours débat : l’alternative entre canal et chemin de fer était toujours là. Ainsi à la séance du 6 août 1851, M. Mortimer Ternaux dépose sur le bureau de l’Assemblée Nationale législative, au nom de la vingt-deuxième Commission d’initiative, un rapport sur la proposition de MM. Alengry député de l’Aude, Anglade député de l’Ariège, relatifs à la construction du chemin de fer de Bordeaux à Toulouse en utilisant le tracé et les travaux du canal latéral à la Garonne entre Moissac et Castets. La Commission d’initiative conclut favorablement. Le gouvernement refusant la destruction du canal, l’affaire n’eut cependant pas de suite. Des travaux importants avaient déjà été réalisés, et un abandon définitif de la construction du canal risquait de s’avérer plus onéreux encore que la poursuite des travaux et son exploitation. En outre la ville de Bordeaux restait très favorable à la réalisation du canal, défendant que le chemin de fer et le canal étaient complémentaires.

 

Afin d’éviter une concurrence qui se serait révélée ruineuse pour l’Etat, il fut décidé de négocier une concession simultanée de la ligne de chemin de fer et du canal latéral. La loi du 8 juillet 1852 autorise le Ministre des Travaux Publics à signer une concession simultanée pour l’achèvement du canal latéral, la construction de la ligne de chemin de fer de Bordeaux à Sète, et l’exploitation des deux infrastructures. La concession sera signée le 24 août 1852 dans des conditions plus avantageuses pour l’Etat que celles requises par la loi du 8 juillet. Les fondateurs de la Compagnie des chemins de fer du Midi et du canal latéral à la Garonne étaient au nombre de 29 dont les frères Emile et Isaac Pereire, banquiers de Bordeaux qui prendront progressivement le contrôle de la Compagnie. La concession du chemin de fer est accordée pour 99 ans, 35 millions de francs sont apportés par l’Etat, qui s’engage à garantir la rémunération des actions et obligations à 4% l’an pendant 50 ans pour un capital maximum de 100 millions. Sur les 60 millions de capitaux privés rassemblés dès la création de la Compagnie, 25 % sont d’origine bordelaise et moins de 1% d’origine toulousaine. Les frères Pereire ont su provoquer une forte mobilisation des acteurs régionaux bordelais. L’augmentation de capital de la Compagnie fin 1852 se heurte à des difficultés en particulier du fait du désaccord entre les frères Pereire et le banquier James de Rothschild qui refuse d’apporter de nouveaux capitaux. Les frères Pereire créent à cette époque le Crédit Mobilier qui permettra de rassembler les capitaux et qui les conduira à prendre la majorité dans la Compagnie.

 

La section de Bordeaux-Saint-Jean à Langon fut ouverte à l’exploitation le 31 mai 1855 sans cérémonie officielle d’inauguration. Par manque de rail, l’ouverture de la deuxième voie fut différée au 8 octobre 1855, date à partir de laquelle des trains de marchandises ont circulé.

 

Le 4 juin 1855, la circulation des trains est interrompue entre Cérons et Langon, à la suite de dégâts importants occasionnés à la voie entre Cérons et Barsac par une grave inondation. Elle ne fut rétablie que le 23 juin. Les terrassements de la ligne en construction en amont de Langon avaient peu souffert. Toutefois le journal bordelais la Guyenne du 10 juin signale la destruction des baraques des ouvriers du chemin de fer, et selon le même quotidien, des wagons de travaux auraient été renversés à Saint-Macaire.

 

La section suivante de Langon à Tonneins fut mise en service le 4 décembre 1855.

 

Le 29 mai 1856, le service des voyageurs commencera à fonctionner sur le parcours de Tonneins à Valence-d’Agen, dont la réception eut lieu le 24 dudit mois. « Est-il un progrès comparable à celui qui fait trouver à Paris des fruits cueillis dans le Midi de la France aussi beaux et aussi savoureux que si on venait de les cueillir sur pieds ? » écrit à cette occasion un rédacteur du Mémorial bordelais le 24 mai.

 

Le service des marchandises petite vitesse est établi un peu plus tard : 26 juillet 1856 pour les gares d’Agen et de Valence d’Agen, 25 août pour les stations d’Aiguillon, Port-Sainte-Marie et Saint-Nicolas.

 

Le 23 août 1856 la ligne de Bordeaux à Toulouse était ouverte à l’exploitation. L’inauguration du service jusqu’à Toulouse eut lieu le dimanche 31 août 1856. Un « convoi d’honneur », parti le matin pour Agen, était de retour vers 3 heures à Toulouse, où furent bénis des locomotives et le chemin de fer.

 

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Inauguration de la ligne Bordeaux à Sète. Photo de Gustave LE GRAY

 

Le 2 avril 1857 eut lieu l’inauguration de la ligne de Bordeaux à Sète dans sa totalité. Pour la circonstance, chacun des frères Pereire prit place dans un train, l’un au départ de Sète, l’autre au départ de Bordeaux, pour se rejoindre à Toulouse. La photographie qui illustre l’événement est la seule qui soit connue. On la doit à Gustave Le Gray (1820-1884), grand nom de la photographie du milieu du XIXème siècle. Sa maîtrise de la technique photographique le conduit à mettre au point deux inventions déterminantes pour cet art : le négatif sur verre au collodion en 1850, et le négatif sur papier ciré sec en 1851. La photo est prise du côté intérieur de la gare Matabiau, avec son bâtiment d’origine à gauche. Sur la droite de la photographie, on voit la locomotive du train arrivant de Sète au premier plan, et celle arrivant de Bordeaux au fond de l’image.

 

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Carte du réseau ferroviaire en 1860

 

 

 

 

 

 

 

En 1852, la construction de la liaison ferroviaire entre Bordeaux et l’Espagne est liée à celle de Bordeaux à Toulouse…

 

Le 6 juillet 1841, la ligne de Bordeaux à Lamothe et La Teste était inaugurée, ouvrant la voie vers le sud. La Compagnie fut bientôt dans une situation économique désastreuse ce qui conduisit l’Etat à la placer sous séquestre en 1848. Le bail fut ensuite cédé aux frères Pereire qui, pour redresser la situation économique, misaient sur l’adoption pour la future ligne de Bordeaux à Bayonne, du tracé prévoyant un embranchement à Lamothe.

 

C’est ce qui se produisit avec la concession accordée à la Compagnie des chemins de fer du Midi et du canal latéral  à la Garonne en 1852 qui portait, non seulement sur la construction et l’exploitation de Bordeaux à Sète, mais également sur la remise en état de la ligne de Bordeaux à Lamothe, La Teste et Arcachon ; la construction de Narbonne à Perpignan, Lamothe à Bayonne avec embranchement sur Mont-de-Marsan.

 

Ces lignes ferroviaires ont été incluses dans la concession pendant la phase de mise au point du contrat de concession dans l’intérêt partagé des concessionnaires, ardents promoteurs du chemin de fer, et de l’Empereur Napoléon III pour qui le rapprochement de la France et de l’Espagne était un objectif important… Pour la construction de Bordeaux à Bayonne, l’Etat apportait 16,5 millions de francs et garantissait les revenus pour 18 millions de capitaux privés dans les mêmes conditions financières que pour celle de Bordeaux à Sète. C’est alors que Napoléon III arbitra en faveur du tracé direct par les Landes, plus court, de préférence à un tracé par l’est des Landes adopté antérieurement pour la route.

 

La Compagnie se trouvait ainsi établie sur une zone d’influence délimitée par la ligne de Bordeaux à Sète, la frontière espagnole, l’Atlantique et la Méditerranée.

 

La mise en service de la liaison de Bordeaux à l’Espagne en voie unique est réalisée par étapes de Bordeaux à Dax en novembre 1854, à Bayonne en mars 1855. Presque dix ans plus tard, le 21 avril 1864 la section de Bayonne à Irun plus difficile à réaliser, fut mise en exploitation.

 

Notons que dès 1851, l’Etat espagnol avait décidé la construction de la ligne de Madrid à Irun. Les liens de Napoléon III avec la future princesse Eugénie, ne pouvaient qu’influencer favorablement la construction de la liaison entre les deux capitales européennes. Et la ley general de ferrocariles du 3 juin 1855 confirme les grandes artères ferroviaires espagnoles à construire, dont la ligne de Madrid à Irun. Les frères Pereire sont alors présents en Espagne pour obtenir la concession de Madrid à Irun, créer la Compagnie des chemins de fer du Nord de l’Espagne, et créer  le Crédit Mobilier Espagnol, assurant une parfaite complémentarité de leur action de lobbying ferroviaire et bancaire au nord comme au sud des Pyrénées.

 

A l’achèvement de la partie française, il manquait encore 23 km de ligne en Espagne entre Beasaïn et Alsasua pour que la liaison de Paris à Madrid soit complète. Ce sera chose faite le 16 août 1864, la première traversée ferroviaire des Pyrénées était ouverte, précédant de 14 ans la traversée coté Méditerranée par Port-Bou.

 

 

 

 

 

 

 

 

Engouement pour le chemin de fer vu dans l’œuvre de Jacques Offenbach (1819-1880)

 

Le développement du chemin de fer modifie fortement les modes de vie  et impressionne les contemporains. Jacques Offenbach ni échappe pas. Il rejoint Paris en 1833. Paris est alors le pôle d’attraction pour les musiciens, plus accueillant que la Prusse pour les juifs comme lui. A l’occasion de l’Exposition universelle de 1855, il remporte son premier grand succès avec Les deux aveugles, spectacle musical dans lequel il fait la satire du Paris de l’époque où l’on vient faire fortune. Cette époque, c’est aussi celle du bruit du chemin de fer qui résonne dans ses œuvres. A titre d’illustration, voici trois exemples.

Orphée aux enfers, 1858. Bien que cet opéra bouffe nous transporte dans l’antiquité grecque, on y entend le passage de la locomotive à vapeur dans le couplet des métamorphoses : martèlement lent de six « Ah ! » suivis d’une cascade de notes qui se précipitent les unes derrière les autres. C’est sur cet air que le Dieu des Dieux conduit le train des Dieux de l’Olympe vers les enfers…

La belle Hélène, 1864. Réécrivant à nouveau la mythologie grecque, les librettistes font le succès de Pâris, l’homme à la pomme, le seul capable dans l’opéra-bouffe de deviner le mot de la charade « locomotive », « c’est fort d’avoir trouvé ça 4000 ans avant l’apparition du chemin de fer » déclarera-t-il en conclusion. 

La vie parisienne, 1866.  Le premier acte se déroule dans la gare de l’Ouest (Saint-Lazare). L’inauguration de la première ligne, vers Saint-Germain, avait produit la sensation que l’on imagine quelques années plus tôt. Et surtout, cette gare était  la porte d’arrivée des touristes anglais et américains, du nord et du sud. Last but not least, la locomotive était un symbole dont le goût que nous avons pour les avions ne donne qu’une faible idée. Les étrangers descendent du train sur un air rythmé comme le fonctionnement d’une locomotive à vapeur : « Tous les étrangers ravis, ravis, vers toi s’élancent Paris, Paris… La vapeur nous amène… ».

 

 

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Sources iconographiques : P. Castan ; H. Lartilleux ; Archives municipales de Toulouse



[1] A l’époque la RN 10, route impériale reliant Paris à l’Espagne, passait au sud de Bordeaux, par Langon, Bazas, Mont-de-Marsan et Dax ; cette situation voulue par Napoléon Ier en 1805 a duré jusqu’au début des années 1950, la route directe prendra alors le nom de RN 10.

[2] Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, il deviendra Napoléon III.